86.
« Qui est-ce, Cantor ? » me demanda Ewald.
Je ne me remettais pas du choc. La personne que j’avais cherchée si longtemps se
tenait en face de moi. Le pèlerin qui m’avait incité à marcher, le mystérieux
vagabond qui m’avait encourager à retrouver mes origines.
« Zur Ianä », articulai-je.
« En vérité, vous pouvez m’appeler Ian. Zur Ianä est un des nombreux noms que
j’utilise lorsque je m’incarne. D’ailleurs, ce n’est pas non plus ma vraie forme. »
« Quand vous vous incarnez ? » demandai-je ?
« Vous voulez dire que vous êtes une sorte de créature surnaturelle ? » demanda
Hasel.
Ian ne répondit pas, mais son regard en disait long. Il mit ses mains dans le dos et
nous observa de ses grands yeux strigides comme un professeur sur le point de
nous apprendre quelque chose de passionnant.
« Pour répondre en une fois à vos trois questions, jeune Merunka, vous êtes ici car
Cantor a formé son Egregore », dit-il comme si cela était évident.
« Son quoi ? » demandèrent Merunka et Dorn en même temps.
Ian fit un geste de la main et par magie, une représentation d’une silhouette
humaine apparut, flottant dans les airs. Au fur et à mesure qu’il parlait, l’image
évoluait comme un nuage, illustrant ce qu’il s’apprêtait à nous dire.
« Pour faire simple, disons qu’un Egregore est un point d’équilibre. Cela nécessite
quelques explications. »
« Oui, s’il-vous-plaît », rétorqua Ewald. Ian lui adressa un sourire entendu pour toute
réaction.
« Voyez-vous, chaque individu dans son existence défend, consciemment ou non,
une ou plusieurs valeurs, qu’il place au-dessus de tout et qui conditionnent la façon
dont il mène sa vie. D’où je viens, une seule vie est ce que nous appelons un expire.
Lorsque cet expire se termine, lui succède alors un inspire, qui sera suivi d’un
nouvel expire et ainsi de suite. Ainsi, l’existence d’une âme est une sorte de
respiration spirituelle. Les individus connaissent potentiellement une infinité
d’expires et d’inspires. »
« Comme des réincarnations » compléta Hasel.
« Plus ou moins. Au cours de chaque expire l’individu continue à défendre ses
valeurs, ou prend le risque d’être en déphasage avec sa raison d’être profonde, et ce
sont ses valeurs, sa façon de les défendre et ses choix qui définissent ce qu’on
appelle la qualité de son expire. Cette donnée conditionne alors l’inspire lui succédant. »
« C’est intéressant, mais quel rapport avec nous ? » demanda Ewald.
« Ce qu’il faut savoir, c’est que si une âme choisit de défendre plusieurs valeurs
morales au fil de ses expires, il est extrêmement rare de voir toutes ces valeurs
pleinement s’exprimer dans la même vie. L’Egregore c’est cela. C’est une âme qui
durant une seule de ses vies a réalisé toutes les valeurs morales qu’elle a défendues
dans ses nombreuses vies antérieures. »