[EGREGORE] Partie IV, chapitre 89

89.
Lorsque le moment d’émotion passa, Ian m’interpela.
« Cantor, viens te placer face à moi. »
Je m’exécutai. Ian se tourna vers le groupe.
« Merunka, Dorn, Ewald et Hasel. Vous représentez respectivement la Passion, la
Sagesse, la Conscience et la Tendresse. Vous représentez tout ce que l’âme de cet
individu du nom de Cantor a défendu, défend et défendra encore. Ensemble à vous
cinq, vous représentez l’équilibre de l’Egregore. »
A ces mots, Ian fit un geste de la main en leur direction. Quatre sphères de
lumières de quatre couleurs différentes s’extirpèrent de leur poitrine et vinrent
flotter au-dessus des paumes ouvertes de Ian. Ce dernier les rassembla en une seule
sphère de couleur mauve et planta cette sphère dans mon cœur. Je sentis une
chaleur bouillonner et tourbillonner en moi.
« A présent, les valeurs que tu as choisies et défendues seront avec toi pour
l’éternité. Tu en es désormais l’incarnation. »
Ian pressa deux doigts sur mon front et ce fut comme si un éclair traversa mon
corps. La zone de chaleur dans ma poitrine s’étendit à tout mon corps et je sentis
comme une force de vie, comme une énergie nouvelle et créative à l’intérieur de
moi.
« Ton âme respirent depuis si longtemps. Tu as vécu de nombreuses vies. Voici le
fruit de tes efforts. Tu as désormais la clé pour accéder au panthéon, et si tu le
désires, tu pourras nous y rejoindre à la fin de cet expire. Nous t’y accueillerons à
bras ouverts. »
Je ne saisis pas totalement le sens de cette dernière phrase. Lorsqu’il eut terminé, je
vis mes amis inconscients, leurs corps flottant dans le vide.
« Rassure-toi, ils vont bien », me dit-il. « A présent, je vais tous vous réintroduire au
temps d’où je vous ai extrait. »
« Je ne pourrai pas rester avec eux, n’est-ce pas ? »
« Pourquoi pas ? » me demanda Ian.
« Parce que cela serait injuste envers eux. Ils ont leur vie… enfin, leur expire à eux.
Leurs propres voyages à continuer. Je ne peux pas simplement leur demander de
tout abandonner pour me suivre. »
« Voilà bien la preuve, s’il en fallait une, que tu es désormais un être spirituellement
élevé. »
« Et je suis toujours à la recherche de mes origines dans cette vie. D’ailleurs, à ce
sujet… »
« Hélas, je ne peux pas t’aider la-dessus. Et je pense que tu sais pourquoi. »
« Je vois… j’ai sans doute moi aussi un expire à terminer, c’est ça ? » Il approuva d’un
hochement de tête.
« Il y a une chose que nous autres membres du panthéon ne pouvons pas modifier,
altérer ou même influencer et qui nous fascine chez vous autres, humains. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle nous intervenons si rarement dans les affaires
mortelles. »
« Et qu’est-ce que c’est ? »
« Votre libre-arbitre. Vois-tu, Cantor, il y a un ennemi que nous combattons depuis
les origines de l’univers. Il s’agit de la peur. La peur est à l’origine de tous les vices
et de tous les maux sur terre et dans le panthéon. Or, vous autres avez une arme
redoutablement humaine contre la peur : le libre-arbitre. Vous pouvez choisir de ne
pas y céder. C’est souvent compliqué, mais c’est un choix qui vous est laissé. Si
nous intervenions pour vous dire de ne pas écouter la peur, l’exact inverse pourrait
se produire. Nous ne ferions qu’empirer les choses au profit de notre adversaire.
Nous ne savons pas exactement d’où cela vient, mais c’est une chose que nous
avons apprise de vous. »
« Le libre-arbitre ? »
« Oui. Bien que je te renvoie sur terre avec la bénédiction céleste de l’Egregore, ton
plus grand pouvoir reste ton libre-arbitre. Avoir peur est inévitable. Mais choisir
d’en tenir compte ou pas, c’est la prérogative des humains. »
Il marqua un temps. « Je ne devrais pas te dire cela, mais à titre personnel, j’ai
rarement rencontré une âme aussi persévérante que la tienne. De toutes les valeurs
que tu as défendues, il y en a une que je n’ai pas mentionnée qui t’habite depuis tes
premiers expires. Celle dont tu es devenu l’incarnation lorsque tu as quitté ton
village, tant d’années plus tôt. »
Comment savait-il cela ? J’avais envie de demander de quelle valeur il parlait, mais
je sentais qu’il n’allait pas me répondre.
« Nous allons nous revoir, Cantor. Et lors de ton inspire, tu comprendras
énormément de choses ! »
« Ah bon ? »
« Nous aurons besoin de ton libre-arbitre. D’ici là, tâche d’en faire bon usage. Pour
t’y aider, et comme tu es le premier Egregore de l’humanité, je t’ai laissé un petit
cadeau. Tu comprendras en le voyant. »
« Une minute… je suis le premier ? »
« Dans ta conception humaine du temps, oui. »
Ian ne développa pas. Il me fit signe de reculer vers mes amis, toujours inconscients.
« Une dernière chose », me dit-il.
« Oui ? »
Il s’approcha de moi, posa deux doigts sur mon front et murmura.
« Inspire. Ajuste. Expire. »
Je n’eus pas le temps de demander plus d’explications. Hasel, Dorn, Ewald et moi
fûmes ramenés instantanément devant la maison d’Hasel. J’étais debout devant
Bartek, en plein milieu du combat.
« Qu’est-ce que c’était que ça ? » hurla-t-il. « Tu penses pouvoir me vaincre avec des
tours de passe-passe ? Montre-moi le guerrier ! Bas-toi ! »
Et il m’attaqua à nouveau.